Philippe BARON
Biographie
Philippe Baron, la cinquantaine tranquille, affiche un grand sourire quand il évoque ses tournages.
« Je peux voyager au bout de ma rue, la rue des Mésanges, sur la commune du Rheu, qui m’a inspiré un film homonyme en 2002, comme sur les boulevards de Téhéran, ou dans les ruelles métissées du bas Belleville.
Et je peux aussi faire mon sac pour aller filmer le siège de Sarajevo pendant la guerre, cette guerre qui s’enlise, en 1994. Une expérience forte, et des images qui me hantent… »
Babelville, ce premier film, qui croque la vie des habitants de ce quartier populaire et en tresse les témoignages, est tourné entre 1990 et 1991, alors que le quartier est menacé de démolition. Philippe décide de filmer ce qui se joue sous ses yeux, entre résistances et expulsions, puisqu’il habite là. Rien de plus normal à ses yeux.
« J’ai trouvé normal de répondre à l’appel de Patrice Barrat, alors producteur à Point du Jour, d’aller à Sarajevo pendant le siège. Il nous a proposé de tourner pendant un mois la chronique d’une rue de Sarajevo – encore un tournage au bout de la rue –, alors que la ville martyre s’enlisait dans un siège interminable : presque quatre longues années, siège qui la laissera exsangue. »
Le pari de Barrat et de son équipe est de fournir tous les soirs un épisode de deux minutes, diffusé sur un réseau de télés européennes (Arte, BBC…). Un défi lancé à la face d’un monde lâche et frileux, qui ne veut pas voir, pas entendre. Ni les sifflements des obus, ni les cris de terreur, ni les coups de hache qui achèvent un jeune bouleau, au pied d’un immeuble. « Ce jour-là, je suis tombé sur cette scène où, pour du bois de chauffage, des voisins sacrifiaient un jeune arbre, malgré les suppliques de celle qui l’avait planté, et qui hurlait, impuissante, depuis sa fenêtre. » Ce n’est qu’au montage des images que Philippe en comprend la valeur symbolique.
À tel point qu’en 1997 Ademir Kenovic, réalisateur bosniaque, intégrera cette scène dans le creuset de son film de fiction Le Cercle parfait. Un film de poète pour dire l’inacceptable de la guerre, un film primé à Cannes.
« Mais moi, je n’ai eu droit qu’à une prise ! Capter le réel, c’est ce que j’aime dans le documentaire ! »
Depuis, Philippe a pris toujours autant de plaisir, au fil de ses films, à capter des bribes de vie, à collecter des histoires, à arpenter la grande histoire. « Je suis un boulimique de lecture, je me rue sur la documentation, j’explore tout. Pour le film Première passion (2010), qui revient sur le tournage à Jérusalem du premier long-métrage relatant la vie du Christ, je me suis inscrit à la fac, en histoire de l’art, pendant un an. Je suis content de maîtriser les sujets, et de pouvoir déclencher les témoignages, comme avec Un village sans dimanche (2012), coréalisé avec Corinne Jacob, un film qui délie les langues à chacune de ses projections publiques. Il y a quelques années, Neuf récits d’avortements clandestins (2004) avait aussi eu un effet cathartique, en levant un tabou, en montrant les travers d’une société qui n’autorisait ni cet acte médical, ni la circulation de la parole. Les documentaires créent du lien, font de la transmission, je ne m’en lasse pas. »
Récemment, le documentariste a rapporté des bribes de vie de pieds-noirs restés au pays de leurs amours : Rester en Algérie (2012). Et un portrait étonnant du premier maire noir de France au XXe siècle, dans la Sarthe de 1929, à une époque où on exhibait encore les Noirs dans les expositions coloniales : Le Métis de la République (2013). Raphaël Élizé, ce jeune maire de couleur, affichait sûrement les mêmes qualités d’écoute que Philippe Baron.
Ce dernier n’a pas fini d’arpenter les territoires du sensible.
Filmographie
Babelville
Le Bas Belleville est un des derniers quartiers populaires de Paris, traditionnellement accueillant pour les immigrés. La mairie menace de le raser. Expulsions, murage, Lire la suite...