Dans «On a grandi ensemble», Adnane Tragha filme la cité avec justesse
- Par Nadir Dendoune in Le Courrier de l’Atlas
À la fin du visionnage d’ « On a grandi ensemble« , le nouveau documentaire d’Adnane Tragha qui sortira au cinéma en juin prochain, on se sent apaisé, soulagé de voir qu’on peut enfin faire un film sur la « cité » avec justesse, loin des habituels clichés ou de la vision paternaliste de certains réalisateurs parisiens en croisade cinématographique pour sauver les « sauvageons » des banlieues.
Quand Adnane Tragha apprend que les barres d’immeubles de Gagarine, situées à Ivry-sur-Seine en banlieue parisienne, appelées ainsi en l’honneur du cosmonaute soviétique Youri Gagarine qui inaugura les lieux en grande pompe en 1963, vont être détruites, il sort sa caméra. En toute légitimité : Adnane Tragha a grandi à 5 mètres de la cité Gagarine, là où logeaient ses copains d’enfance.
Il n’est pas le seul à avoir cette idée mais Adnane choisit, lui, d’aller à la rencontre des « Gagarinois historiques », ceux qu’il a côtoyés toute sa vie. Ceux qui étaient là au début de l’aventure Gagarine.
La réussite, l’authenticité de ce film est une demi-surprise. On connaît le travail d’Adnane Tragha. Ce cinéaste de 46 ans a appris le métier sur le terrain. Pour ne dépendre de personne et créer en indépendance totale, Adnane Tragha monte en 2015 sa boîte de production « Les films qui causent ». L’année suivante, sort « 600 euros », son premier long métrage de fiction, qui n’a bénéficié d’aucune aide ou subvention. Un film qui surprend le cinéma français. Adnane Tragha détonne dans un milieu où beaucoup sont prêts à tout pour « réussir ». Lui, préfère rester sur ses valeurs.
En 2017, il déclarait lucide : « Si tu acceptes de rentrer dans un certain moule, en faisant par exemple des films qui donnent une image négative des banlieusards mais qui sont conformes à l’imaginaire collectif, il y a moyen de faire son trou plus facilement. Si demain je propose un film sur une jeune maghrébine voilée de force dans une cité miséreuse et qu’il est correctement écrit, j’aurai moins de problèmes à obtenir des financements ».
Dans « On a grandi ensemble », Adnane Tragha donne la parole à une variété de personnages. Leurs discours bien que différents se rejoignent tous. Se dégage la même fierté d’avoir vécu dans cette cité, malgré le bruit des trains (Gagarine faisait face à la gare d’Ivry-sur-Seine), malgré la violence sociale, malgré la dureté des rapports humains, les seringues des toxicomanes qui jonchaient parfois les allées …
Aucun expert interviewé dans son film, pas de journalistes, pas de chercheurs, pas de sociologues, pas de phrases inaudibles de 10 000 kilomètres de long, mais des témoignages beaux et sincères parce c’est toujours plus facile de se confier à quelqu’un quand on a confiance en celui qui nous filme.
Dans ce film d’une heure 10, il n’y a ni Noirs, ni Arabes, ni Juifs, ni Blancs qui revendiquent une quelconque appartenance ethnique. Il y a juste des destins communs et cette chance d’avoir grandi tous ensemble !
A Gagarine, comme beaucoup de quartiers populaires, c’était d’abord des enfants d’ouvriers, des enfants de pauvres. « Sans ses habitants, la cité Gagarine n’est plus. Sans la cité Gagarine, ses habitants n’auraient certainement pas été les mêmes », aime à rappeler Adnane Tragha.
Son film leur rend hommage de manière admirable. Et pas seulement sur le fond. Adnane Tragha a aussi soigné la forme de ce documentaire. En plus des belles images, le film est ponctué d’intervalles musicaux. Un pur bonheur.
« On a grandi ensemble » sera projeté le 12 février à 17h30 à « domicile », à Ivry-sur-Seine au cinéma Le Luxy, le 1er avril à Savigny-le-Temple (91), le 2 avril à Noisy-le-Sec…
Pour plus d’informations, rendez-vous sur la page Facebook du réalisateur ….