NANTERRE : LE MOUVEMENT GUTENBERG
Mogniss H. Abdallah
Samir Abdallah
NANTERRE : LE MOUVEMENT GUTENBERG
Un film de Mogniss H. Abdallah, Samir Abdallah
1986 | Document | 8 min 31 | Agence IM'Média
Producteur
Agence IM'Média
agence.immedia@free.fr
Distributeur
Agence IM'Média
agence.immedia@free.fr
Documents réalisés dans le cadre du mouvement pour le relogement des habitants des cités de transit et pour que justice soit rendue à Abdennbi Guemiah tué cité Gutenberg à Nanterre en 1982.
1. GUTENBERG, mission accomplie
Le 23 octobre 1982 au soir, Abdennbi Guemiah, 19 ans, est mortellement blessé à coup de fusil tiré par un pavillonnaire voisin alors qu’il rentrait chez lui, cité de transit Gutenberg à Nanterre. Il décèdera le 6 novembre. Sa famille et ses amis se mobilisent aussitôt pour honorer sa mémoire, restituer toute sa personnalité et pour que justice soit rendue.
D’origine marocaine, Abdennbi était lycéen à Joliot Curie (Nanterre), en terminale. Il était respecté et apprécié. A la cité – appelée aussi « Cité blanche » – , il s’occupait de la scolarité des petits et participait à l’organisation de loisirs et de camps de vacances dans le cadre de l’opération « anti-été chaud ». Poète et musicien à ses heures, il était aussi connu pour se promener avec une guitare. Il avait ainsi participé à un concert « Rock against police » dans la cité, le 8 mai 1982. Co-fondateur et trésorier de l’association-club Gutenberg, Abdennbi ne supportait pas les conditions de logement et de vie indignes dans un « transit » provisoire qui s’éternise depuis… 1971. Enfin, il protestait avec ses amis contre l’omniprésence policière et la « psychose sécuritaire » qui poussait les voisins à s’armer contre les habitants majoritairement arabes des cités de transit.
Le 10 novembre, une marche silencieuse parcourt la ville, du lycée Joliot Curie jusqu’à la cité Gutenberg, pour un recueillement sur le lieu du drame. Face à la dignité des manifestants où se côtoient jeunes, familles et enseignants, les passants s’inclinent, les commerçants font taire leur haut-parleur. Le Maire, le préfet et le secrétaire d’Etat à l’immigration François Autain se rendent eux à la cité pour visiter la famille. Ils se renvoient sans cesse les responsabilités. Les jeunes, qui ont gagné la confiance des parents, ne se laissent plus baratiner : ils se disent prêts à la concertation avec les pouvoirs publics, mais cartes sur table, avec des objectifs et un calendrier précis.
Une grève définitive des loyers est décidée, et un comité des résidents s’installe dans les locaux de l’ex-gérant, éjecté. Son objectif : faire l’inventaire des besoins des familles de la cité (environ 130, soit plus de mille personnes), recueillir le lieu et le type d’habitat souhaité, enfin assurer le suivi d’un processus de relogement décent effectif, sur Nanterre ou ailleurs. Des délégués du comité siègent en préfecture dans les différentes commissions d’attribution de logements ou d’enquête sur la gestion douteuse de la Cetrafa. Le comité de quartier du Chemin de l’île, qui regroupe des locataires des HLM voisines, est investi. Et le 5 février 1983, une grande journée « portes ouvertes » se tient à la cité. Devant les 2 000 personnes présentes, le Maire communiste Yves Saudmont, chahuté, annonce se résoudre à reloger « ceux qui travaillent dans les entreprises de la ville ». Mais le 14 février 1983 à Châtenay-Malabry, le jeune Nacer M’raïdi est grièvement blessé par un policier près de la cité de transit La Butte rouge, également en grève des loyers. Le comité décide alors de s’auto-saborder, pour signifier aux pouvoirs publics qu’il n’entend pas « gérer la misère » à leur place, tandis que continuent les crimes racistes ou sécuritaires. L’association Gutenberg se joint à Wahid association de Vaulx-en-Velin pour l’initiative des « Folles de la place Vendôme ». Et une coordination des cités en lutte se met en place pour accélérer le relogement, et la SCOP Transit’Services est lancée en août 1983 par des jeunes de la cité pour en contrôler le processus.
Le 1er février 1985, le meurtrier d’Abdennbi Guemiah est condamné à 12 ans de réclusion criminelle. A la veille du procès, les toutes dernières familles de la cité ont été relogées, et les bulldozers entament leur ronde pour démolir les bâtiments de la cité qui s’effondrent tel un château de cartes.
Réalisation : Mogniss et Samir Abdallah
Images & son : Samir Abdallah – Cheikh Djemaï
assistants et régie : Nordine Iznasni et Tarek Kawtari
Images d’archives : Association Gutenberg – Agence IM’média
commentaire: Mogniss Abdallah
Musique : Nanterre Ville bidon / Les Amis d’Abdennbi
Dessins : Last Siou
Production : Agence IM’média – Automne 1985
2. L’après transit
Un an après leur relogement, Rachid Ghak, Ahmed Chouraki et Nordine Iznasni et d’autres jeunes de la cité de transit Gutenberg de Nanterre, désormais rasée, reviennent sur les lieux de leur enfance dont il ne reste guère que la trace de fondations dérisoires perdues dans un terrain en friche. Ils blaguent sur l’accueil dans leur nouvel environnement avec un brin de nostalgie pour leur « paradis perdu », et pour les solidarités de voisinage aujourd’hui disparues.
Dispersés entre Antony, Asnières, Gennevilliers, Suresnes ou ailleurs, les jeunes se retrouvent à la gare du RER Nanterre-Ville, sur l’emplacement de la cité, ou encore dans les locaux de Transit-services, la SCOP de déménagement qu’ils ont monté, sise au 7 rue de Saint-Cloud, tout près de la Boule. Ahmed Chouraqui, qui a un temps travaillé comme intérimaire au centre culturel G. Pompidou/Beaubourg, considère avoir été relogé dans de bonnes conditions, et c’est le cas pour la plupart des familles, malgré l’éloignement. Pour autant, il raconte la réputation de délinquance qui leur colle aux basques auprès des nouveaux voisins. « Comme on est les seuls Arabes, et en plus famille nombreuse, on est vite repérés. Ils ont vite fait de nous juger! ».
Nordine fait faire une visite à Suresnes où il a été relogé dans une cité HLM. Le gardien, débonnaire, confirme que « Nanterre, c’est un nom qui fait peur… » mais les voisins « ont vu que les gens se tiennent correctement ». Et puis, les familles immigrées ne sont que 14 sur 170, du coup, « on arrive à se supporter ». Nordine lui, insiste sur les nombreux services disponibles à proximité, ce qui contraste avec l’isolement d’autrefois. Des filles relogées rajoutent: « Ici, c’est plus propre, et il n’y a pas de boue. » Madame Guémiah, la maman d’Abdennbi – mortellement blessé à la carabine par un pavillonnaire voisin le 23 octobre 1982-, a été relogée aux Acacias, une HLM à Nanterre. Les relations de voisinage dit-elle, s’y limitent à des salutations de principe. Cependant, les ancien-ne-s de la cité viennent souvent lui rendre visite.
Les locaux de la SCOP ont entretemps été transformés en Centre d’initiatives culturelles. Hassan Joullane, ex-gérant de la coopérative, rappelle lors d’une discussion avec Nordine Iznasni que l’objectif n’était pas de faire une carrière de déménageurs à vie, mais de contrôler le processus de relogement en prolongeant le rapport de forces favorable constitué par le « mouvement Gutenberg ». Nordine Iznasni: « Il y avait une motivation d’ensemble, et le poids de la cité par rapport aux pouvoirs publics ça a joué à un moment en termes de rapport de forces .» Hassan Joullane: « Les pouvoirs publics étaient bien forcés de nous aider. C’est un rapport de forces qu’on a réussi à créer avec tous les gens de l’association. Une fois que la cité n’y était plus, bon bah le rapport de forces n’y était plus, on se retrouve en tant qu’individus et pas en tant qu’association implantée dans une cité. Maintenant, c’est à nous de créer un nouveau rapport de forces face aux problèmes qu’on connait tous. » Et il dit espérer retrouver en ce lieu la dynamique nécessaire pour qu’il devienne « un point de chute, de création, d’action politique, pour que ça bouge à tous les niveaux. » Dans le local réaménagé, on trouve désormais une association de chômeurs, et différentes activités de management culturel: ateliers d’initiation à l’informatique et d’écriture BD, vidéothèque, promotion de groupes de musique (l’association Gutenberg a ainsi produit un 45 tours de Farid alias « Bobosse »), et mise en place d’une exposition qui donne lieu à un accrochage très « artistique » de quelques oeuvres du peintre égyptien Hamed Abdalla…
Hassan Joullane décède le 22 octobre 1996 happé par le RER. Nordine lui, retourne vivre à Nanterre au début des années 1990 où, après de longues années au Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), il deviendra élu municipal.
Réalisation : Samir et Mogniss H. ABDALLAH
images: Samir ABDALLAH
assistants: Nordine Iznasni & Tarek Kawtari
son: Amine Sahraoui
commentaire: Mogniss H. ABDALLAH
montage: Anne Olivry
Production : Agence IM’média, 1986
Mogniss H. Abdallah
Mogniss H. ABDALLAH, journaliste et réalisateur, est né en 1957 à Copenhague, de mère danoise et de père égyptien. Il vit en France depuis 1966. A la fin des années soixante-dix, il participe à différentes rédactions, dont celle du journal Sans Frontière, ainsi qu'au mouvement des radios libres, puis au réseau des télévisions associatives, dont Zalea TV (début des années 2 000). Il écrit aussi des papiers pour la presse généraliste comme Libération. En 1983, il co-fonde IM'média, une agence de presse multi-média, spécialisée dans les luttes de l'immigration et des quartiers populaires, et réalise de nombreux reportages ou documentaires, en nom personnel ou collectif, parmi lesquels Minguettes 1983, paix sociale ou pacification? (1983); Abdel pour Mémoire (1988); Douce France - la Saga du mouvement beur (1993); On Marche etc. (1994)... Dans le cadre d'un partenariat européen entre IM'média, Migrant Media, le George Padmore Institute ou New Beacon Books (Londres), il co-réalise et co-produit plusieurs documentaires, dont Britain's Black Legacy (1991), Sweet France (1992), et Le Syndrome de Hoyerswerda (1994), ainsi que des reportages liés à la mémoire des mouvements sociaux, politiques ou culturels, ou encore des portraits des protagonistes de ces luttes. L'agence IM'média entretient à cet effet un important fonds d'images d'archives, mis à la disposition de différents projets de production portés par des TV ou des associations. Par ailleurs, Mogniss H. Abdallah écrit régulièrement des articles pour la mémoire des luttes et pour une évaluation critique des médias mainstream ou indépendants, et a publié plusieurs ouvrages, dont Jeunes immigrés Hors les murs (1982), J'y suis, j'y reste ! (2000) et Rengainez, on arrive ! (2012).
Samir Abdallah
Samir Abdallah est né à Copenhague, au Danemark, de l’union du pionnier de l’art moderne égyptien Hamed Abdalla avec sa femme, Kirsten Hamed Abdallah, infirmière danoise. Il vit en France depuis l'âge de 6 ans, où il a acquis la nationalité française. Après des études d'Art dramatique et de Cinéma à l'Université de Nanterre au début des années quatre-vingts, il participe à la création de l’Agence IM’Média avec son frère Mogniss, et réalise de nombreux reportages et documentaires sur l'Immigration pour l'émission Rencontres, sur la chaîne française FR3, entre 1988 et 1991. Il a réalisé seul ou en collaboration de nombreux documentaires, parmi lesquels : L'Islam de France, entre traditions et modernité en 1990 , La Révolte de Veaux-en-Velin en 1991, Voyages au Pays de la Peuge, en 1991, La Ballade des sans-papiers en 1997, Le Siège en 2002, Ecrivains des Frontières, voyages en Palestine(s), en 2004, Quo Va Dis?, en 2006, Après la guerre, c'est toujours la guerre, en 2007, Gaza-strophe, Palestine, en 2009, Candidats pour du Beur?, en 2012, Au Caire de la Rêvolution, depuis 2011... En 1991, il fonde L'Yeux ouverts qui organise des ateliers dans les quartiers, et anime un réseau international de projections publiques de films exprimant un point de vue critique sur le monde contemporain, avec plus de 3000 partenaires associatifs et divers, en France, Europe, pays arabes et Amériques, un réseau baptisé du nom de : CINEMETEQUE qui développe le site de films du même nom.