LES "FOLLES DE LA PLACE VENDÔME"

Samir Abdallah
Mogniss H. Abdallah

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LES "FOLLES DE LA PLACE VENDÔME"

Un film de Samir Abdallah, Mogniss H. Abdallah

1985 | Documentaire | 10 min 43 | Agence IM'média

Producteur
Agence IM'Média
agence.immedia@free.fr

Distributeur
Agence IM'média
agence.immedia@free.fr

Site du film

Synopsis

Le 28 octobre 1982, Wahid Hachichi, 18 ans, lycéen de Vaulx-en-Velin, est tué à coups de fusil à Lyon. Le 6 novembre, Abdennbi Guemiah, 19 ans, lycéen habitant la cité de transit Gutenberg à Nanterre, décède suite à un coup de 22 long riffle tiré par un pavillonnaire voisin. Les familles et amis de Wahid et d’Abdennbi se mobilisent à la mémoire des disparus et pour exiger justice. Elles se rencontrent, décident de faire cause commune avec d’autres familles et de se faire entendre
publiquement. Familles et amis se feront connaître sous le nom : « Les Folles le place Vendôme» (en référence aux mères de la place de Mai en Argentine qui ont attiré l’attention de l’opinion publique internationale sur le sort des disparus victimes de la dictature).
L’agence IM’média participe à leur initiative. D’où ce document vidéo, qui commence par l’évocation de Wahid, et par un appel de sa mère, Mme Hachichi« A chaque fenêtre, je vois un 22 long riffle. Monsieur Mitterrand, Monsieur Badinter [respectivement président de la République et ministre de la justice], faites que ces tirs cessent ».
Le contexte de l’époque est alors à la surenchère sécuritaire, sur fond de campagne électorale pour les municipales de mars 1983. Tandis qu’une droite revancharde s’acoquine avec l’extrême-droite, des syndicats de policiers défient le pouvoir socialiste. Pourtant, le ministre de l’intérieur Gaston Defferre a promis qu’il «couvrirait» tous ceux qui agissent sous ses ordres. Et Charles Hernu,
ministre de la défense, « pacifie » les cités de sa commune, Villeurbanne, dans l’est lyonnais.
Naguib Allam, l’oncle de Wahid, mène une contre-enquête sur les faits contestant la version officielle d’une tentative de vol de BMW. Il fonde Wahid association. Il s’intéresse aussi aux mobilisations ailleurs en France. « Nous ne voulons plus avoir peur pour nos enfants et pour nos maris, nous ne voulons plus avoir la crainte de sortir. Assez de contrôles racistes, assez de lois racistes, assez d’impunité pour les racistes. Femmes, mères de tous les pays, unissons-nous!» 

Fortement marqué par cet appel des mères à Marseille au lendemain de la mort de Lahouari Ben Mohamed, tué au pistolet-mitrailleur par un CRS le 18 octobre 1980, il s’en inspire au printemps 1983 pour lancer l’Association nationale des familles victimes de crimes racistes.
Son moyen d’action est « l’empowerment » des familles : aucune organisation politique, syndicale ou associative, aucun avocat ne doit s’imposer ni agir en leur nom sans un accord direct préalable et explicite, cela afin que les différentes affaires ne soient instrumentalisées à d’autres fins.
Des Forums justice et des réunions publiques se tiennent dans plusieurs villes (Vénissieux, Vaulxen-Velin, Nanterre, Marseille…), suscitant une certaine émulation : ainsi le 2 décembre 1983, à la veille de l’arrivée à Paris de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, le Collectif Jeunes organise en présence de Marcheurs un autre Forum Justice à Levallois-Perret.
Le programme de l’association se précise au fur et à mesure : il réclame notamment le respect de la mémoire des victimes, un soutien moral et financier des familles, la reconnaissance officielle de leurs associations indépendantes comme des structures d’aide aux victimes, l’instauration d’une commission d’enquête indépendante sur la police et la justice, le plein accès aux dossiers judiciaires pour les familles constituées partie civile. L’association formule aussi sa volonté d’une extension de la loi du 1er juillet 1972 aux violences à caractère raciste, la possibilité de se constituer partie civile. Et de toute urgence, elle réclame de « désarmer les beaufs », voire de « désarmer les flics ».
Le 21 mars 1984, une douzaine de familles accompagnées par environ 200 personnes entament leur première ronde place Vendôme dans l’espoir d’être entendus par le garde des Sceaux Robert Badinter. Dans la foulée, une quarantaine de familles rejoignent l’association. S’y côtoient désormais Arabes, Noirs antillais ou africains, Espagnols ou Portugais, Turcs, Gitans et Français blancs.
Parmi eux, on rencontre Mme Melyon, la mère de Lucien originaire de Guadeloupe. Son fils a été tué par des « videurs » lors d’un concert le 30 octobre 1977 à l’hippodrome de Pantin. Ou encore Colette Aubourg, la mère de François-Michel, 21 ans, mort suite à des violences au bal des pompiers à Vitry-sur-Seine le 14 juillet 1983.
La dimension sécuritaire de nombreux cas est mise en évidence, le nom de l’association est donc complété : en associant dimensions racistes et sécuritaires, sans les confondre, elle entend se prémunir contre le risque de hiérarchisation des crimes. Il n’y a pas de tri entre « bonnes » et « mauvaises » victimes. Il ne s’agit pas non plus de noyer la singularité de chaque affaire dans un discours générique global et abstrait, mais de faire ressortir ce qui fait sens commun.
Suite aux multiples mobilisations et au succès de la Marche pour l’égalité et contre le racisme à son arrivée le 3 décembre 1983, il y aura quelques avancées : fin de l’exposition de 22 long riffle dans les supermarchés, interdiction de la vente d’armes à plus de dix coups, modification de la loi contre le racisme, possibilité pour les associations de plus de 5 ans de se constituer partie civile…

A Nanterre, la justice traitera avec dignité Abdennbi Guemiah, sa famille et ses amis, elle rendra même explicitement hommage à l’action publique des mères. L’assassin est condamné à 12 ans de prison fermes. Ailleurs cependant, il n’en ira pas de même. La mémoire de victimes sera souvent bafouée, des familles maltraitées. Tandis que des jeunes sont sévèrement condamnés pour des petits délits, l’assassin de Wahid Hachichi, jugé en février 1986, n’écopera que de 5 ans de prison dont 2 avec sursis. Prévaut alors le sentiment d’une inégalité de traitement, d’une « justice à deux vitesses », et celui de la nécessité d’un combat sans cesse renouvelé.

Plus que jamais, le message des « Folles de la place Vendôme » reste d’actualité.

Fiche technique :
Format d’origine : Umatic BVU
Durée : 10 min 49 »
Réalisation : Mogniss & Samir H. Abdallah
assistés par Naguib Allam
Images : Samir Abdallah
Images d’archives: Association Gutenberg – Agence IM’média
Musique générique de fin : Nationalité immigrée, par la troupe de théâtre des Flamants – Marseille
Production : agence IM’média – Automne 1985
avec la participation du CREAR et des ateliers Varan

Réalisateur
Samir Abdallah

Samir Abdallah est né à Copenhague, au Danemark, de l’union du pionnier de l’art moderne égyptien Hamed Abdalla avec sa femme, Kirsten Hamed Abdallah, infirmière danoise. Il vit en France depuis l'âge de 6 ans, où il a acquis la nationalité française. Après des études d'Art dramatique et de Cinéma à l'Université de Nanterre au début des années quatre-vingts, il participe à la création de l’Agence IM’Média avec son frère Mogniss, et réalise de nombreux reportages et documentaires sur l'Immigration pour l'émission Rencontres, sur la chaîne française FR3, entre 1988 et 1991. Il a réalisé seul ou en collaboration de nombreux documentaires, parmi lesquels : L'Islam de France, entre traditions et modernité en 1990 , La Révolte de Veaux-en-Velin en 1991, Voyages au Pays de la Peuge, en 1991, La Ballade des sans-papiers en 1997, Le Siège en 2002, Ecrivains des Frontières, voyages en Palestine(s), en 2004, Quo Va Dis?, en 2006, Après la guerre, c'est toujours la guerre, en 2007, Gaza-strophe, Palestine, en 2009, Candidats pour du Beur?, en 2012, Au Caire de la Rêvolution, depuis 2011... En 1991, il fonde L'Yeux ouverts qui organise des ateliers dans les quartiers, et anime un réseau international de projections publiques de films exprimant un point de vue critique sur le monde contemporain, avec plus de 3000 partenaires associatifs et divers, en France, Europe, pays arabes et Amériques, un réseau baptisé du nom de : CINEMETEQUE qui développe le site de films du même nom.


Mogniss H. Abdallah

Mogniss H. Abdallah, né d'une mère infirmière danoise et d'un père artiste-peintre égyptien, est un auteur, journaliste, réalisateur et producteur. À la fin des années 1970, étudiant en sociologie à l'université de Nanterre, il a organisé des concerts « Rock Against Police ». Son engagement politique lui a valu une procédure d'expulsion pour trouble à l’ordre public en 1979 qui sera suspendue suite une forte mobilisation populaire. Journaliste indépendant, il a collaboré à la première radio « immigrée » Radio Soleil Goutte d'or et à l’hebdomadaire « Sans frontière », puis a fondé en 1983 l'agence IM'média avec pour but de «documenter les luttes de l’immigration». Il a également travaillé sur les questions de discrimination, de violences policières et la condition des sans-papiers.