Reportage qui fait suite à Peugeot : Immigres dans une grève populaire (septembre 1989), prémice du documentaire Voyages au pays de la Peuge (octobre 1990), prix du patrimoine au festivalCinema du Reel (Paris, 1991)
cf. aussi le livret Voyages au pays de la Peuge disponible à La Contemporaine dans le fonds Agence IM’media : publications. Arch 0007. BDICA
Sochaux-Montbéliard, la grève de l’automne 1989 -qui a duré plus de six semaines- a laissé des marques profondes dans les relations entre ouvriers grévistes et direction. Si, au final, les revendications salariales n’auront été que partiellement satisfaites, les ouvriers ont repris le travail avec le sentiment d’avoir gagné leur «dignité» face à la méthode Peugeot de production «à la japonaise».
Les dirigeants du groupe PSA ont quant à eux donné des consignes pour que «la grève laisse le souvenir de quelque chose où les gens ont perdu». Officiellement, la grève, c’est du passé.On évoque des problèmes de communication, et on assure que la vie dans l’entreprise s’est assainie.
Pourtant, de nombreux ouvriers ayant participé à la grève témoignent de vexations quotidiennes sur le poste de travail ou lors de leur déplacement dans l’usine. Ils dénoncent le harcèlement dont ils font l’objet de la part d’un encadrement revanchard, qui n’hésite pas à les poursuivre jusque dans leur vie privée. Ainsi André Fallot, trente-deux ans de boîte, a été licencié pour avoir emprunté un fer à souder, lui dont le grand-père avait lui aussi été licencié pour «fait de grève» en 1930, et dont le père avait donné sa vie à l’entreprise.
Ainsi, Ali et Dalila Hamadouche, agents d’entretien Peugeot pour le compte de Technique Française de Nettoyage, ont été surpris dans l’usine avec un appareil photo. Soupçon d’espionnage industriel ?Ils tombent des nues. On leur reproche en fait d’avoir posé sous les banderoles de la CGT pendant les manifestations de l’automne. Convoqués, la direction annonce leur mutation disciplinaire hors du site. Dalila refuse. Elle sera licenciée.D’autres ouvriers ont décidé de partir travailler ailleurs, pour partie en Suisse ou en Allemagne.Jacky Blanc, ouvrier professionnel (OP) à Peugeot-Mulhouse, n’a plus accepté les «procédés psychologiques» de la direction, et décide de monter sa propre entreprise.
Cependant, M. Perrier, directeur du centre de production de Sochaux, évoque l’ambition de devenir le premier constructeur européen à l’orée 1993, investissements informatiques et robotiques à l’appui. Pour cela, il demande un effort de solidarité avec l’entreprise pour rattraper les 60 000voitures perdues suite à la grève, mais aussi à des inondations «catastrophiques» en début d’année. Un mot d’ordre de productivité accrue qui est accompagné par la mise en avant de nouvelles méthodes de management pour «une équipe qui doit gagner», une charte de l’ouvrier modèle etc.
Aux élections des représentants du personnel, en mars 1990, la CGT a obtenu plus de 50% des voix,y compris dans les ateliers automatisés peu touchés par la grève.
Un mécontentement diffus semble ainsi s’exprimer, signe de craintes pour l’avenir liées à l’extension des nouvelles technologies. Christian Corouge, ouvrier spécialisé (OS) à Peugeot-Sochaux le dit explicitement : avec les transferts de technologies, beaucoup risquent de rester sur le carreau.
Avant d’ajouter : «Comme sur une portée de musique, on rentre dans le moule ou pas. Tout ce qui dépasse est mauvais. Il n’y a plus d’espace pour l’initiative personnelle». Pour maintenir le moral et la solidarité, ouvriers et ex-grévistes se donnent rendez-vous tous les mois pour revivre les moments de joie de la grève de l’automne 1989.
Réalisation: Samir Abdallah – Raffaële Ventura & Maurizio Lazzarato
Images : Samir Abdallah
Son: Raffaele Ventura
Montage: Angela Melitopoulos
Production : Agence IM’média – mai 1990
Réalisateur
Raffaele VenturaSamir AbdallahSamir Abdallah est né à Copenhague, au Danemark, de l’union du pionnier de l’art moderne égyptien Hamed Abdalla avec sa femme, Kirsten Hamed Abdallah, infirmière danoise. Il vit en France depuis l'âge de 6 ans, où il a acquis la nationalité française. Après des études d'Art dramatique et de Cinéma à l'Université de Nanterre au début des années quatre-vingts, il participe à la création de l’Agence IM’Média avec son frère Mogniss, et réalise de nombreux reportages et documentaires sur l'Immigration pour l'émission Rencontres, sur la chaîne française FR3, entre 1988 et 1991. Il a réalisé seul ou en collaboration de nombreux documentaires, parmi lesquels : L'Islam de France, entre traditions et modernité en 1990 , La Révolte de Veaux-en-Velin en 1991, Voyages au Pays de la Peuge, en 1991, La Ballade des sans-papiers en 1997, Le Siège en 2002, Ecrivains des Frontières, voyages en Palestine(s), en 2004, Quo Va Dis?, en 2006, Après la guerre, c'est toujours la guerre, en 2007, Gaza-strophe, Palestine, en 2009, Candidats pour du Beur?, en 2012, Au Caire de la Rêvolution, depuis 2011... En 1991, il fonde L'Yeux ouverts qui organise des ateliers dans les quartiers, et anime un réseau international de projections publiques de films exprimant un point de vue critique sur le monde contemporain, avec plus de 3000 partenaires associatifs et divers, en France, Europe, pays arabes et Amériques, un réseau baptisé du nom de : CINEMETEQUE qui développe le site de films du même nom.