PEUGEOT - IMMIGRÉS DANS UNE GRÈVE POPULAIRE
Samir Abdallah
PEUGEOT - IMMIGRÉS DANS UNE GRÈVE POPULAIRE
Un film de Samir Abdallah
1989 | Documentaire | 7 min 18 | Agence IM'Média
Producteur
Agence IM'Média
agence.immedia@free.fr
Distributeur
Agence IM'Média
agence.immedia@free.fr
Reportage TV diffusé sur FR3 national le 1er octobre 1989 dans l’émission Rencontres, co-produite par l’agence IM’média. Plusieurs autres reportages ont été réalisés par l’agence IM’média dans le pays de Montbéliard (Doubs), dont Les Revenants du Retour (avril 1989) et L’Après-grève (avril 1990), ainsi que le documentaire Voyages au pays de la Peuge (octobre 1990), prix du patrimoine au festival Cinéma du Réel (Paris, 1991).
Automne 1989 : dans un contexte de reprise économique sous le gouvernement Rocard, on s’attendait à une rentrée sociale agitée due au maintien du blocage des salaires et aux restructurations au nom de la compétitivité de l’industrie française. C’est dans les usines automobiles Peugeot (PSA), à Mulhouse puis à Sochaux, que les ouvriers déclenchent une grève dès le 5 septembre. Elle va durer sept semaines. Ils manifesteront aussi à plusieurs reprises devant le siège à Paris.
Alors que le groupe PSA annonce un bénéfice de 8,8 milliards de francs en 1988 et affiche des gains de productivité supérieurs à 50 %, les grévistes dénoncent des salaires à peine au-dessus du SMIC, l’introduction de la précarité au sein même des usines avec l’embauche d’intérimaires (1 800 à Sochaux, 600 à Mulhouse), des conditions de travail qui ont empiré depuis la robotisation, les injonctions pour une meilleure « qualité » du travail par un encadrement de plus en plus dirigiste …. Bref, une forme de production « à la japonaise » avec ses nouveaux impératifs (« zéro stock », « zéro défaut ») etc.
« La grève a démarré parce que dans cette entreprise, il y avait une répression énorme » déclare Nasser Messaoud, délégué CGT Peugeot-Mulhouse. Les libertés étaient bafouées. La discipline était très, très sévère ici. Et la maîtrise, elle est plutôt dirigiste. Elle dirige les hommes et s’y connait très peu en technique. C’est des gens formés pour pour diriger uniquement les hommes. »
Aux abords du site de Mulhouse, Grid Douadi arbore de multiples stickers. L’un d’entre eux proclame : « La grève pour 1500 FF c’est l’affaire de tous ». Haranguant la foule, le gréviste s’enhardit : « Calvet [le patron de PSA], très longtemps nous a dit : serrez-vous la ceinture pour aider l’entreprise. Aujourd’hui nous lui disons : après avoir partagé les pertes, partagez les bénéfices. De l’argent, il y en a ». A l’intérieur des usines en grève, entre défilés mégaphone en main et assemblées générales, c’est le même refrain, résumé par les pancartes : « Un seul mot d’ordre : augmentation des salaires ». « On veut vivre, pas survivre ! »
Ouvriers spécialisés (OS) ou professionnels (OP), hommes et femmes, jeunes ou d’âge mûr, Français et immigrés, participent à ce mouvement de grève qui, bien qu’il ne soit pas majoritaire dans l’usine, s’avère populaire et festif. Les jeunes intérimaires semblent eux, en retrait.
« Je pense qu’après les dégraissages, dit encore Nasser Messaoud, le Français a changé de mentalité vis-à-vis de l’immigré. Avec les départs, leurs postes ont été remplacés par des Français [entre 1980 et 1989, les effectifs sur le site de Peugeot-Sochaux sont passés de 40 000 à 23 000]. Dans le temps, les Français avaient plutôt tendance à croire que c’était les immigrés qui tiraient les salaires à la baisse, en assurant des postes un peu dégradants. Aujourd’hui ils se rendent comptent que ce sont des Français qui ont remplacé les immigrés qui sont partis [environ 8 500 en dix ans, dont la plupart ont été incités à accepter « l’aide au retour » au pays d’origine], et que ça n’a pas changé ni au niveau des salaires ni au niveau des classifications. Là aussi, le Français a compris que ce n’est pas seulement à l’immigré d’aller dans les conflits sociaux, que pour s’en sortir il fallait lui-même mettre la main à la pâte. »
Nasser Messaoud a encore en tête les affrontements raciaux entre grévistes et non-grévistes qui eurent lieu au début des années 1980, notamment à Talbot-Poissy en janvier 1984. « On n’a pas voulu tomber dans le piège les immigrés d’abord, les Français après. Il faut dire que là c’est une grève complètement différente, très populaire ». Farouk Khaldi, ouvrier professionnel (OP) à Peugeot-Sochaux, délégué CGT et membre de l’Union des travailleurs tunisiens en France, revient quant à lui sur l’histoire de cette mutation : « La syndicalisation a pris ici depuis 1972, mais le fort de la syndicalisation s’est fait à partir des années 1980, et lors des conflits, surtout en 1982 il y a eu une très forte mobilisation des travailleurs immigrés. A un moment donné les immigrés ont voulu créer leur propre syndicat, ce qui allait dans le sens du patronat… Il y a eu une grande discussion au sein du CAIF (Conseil des associations immigrées de France), puis nous avons opté pour rester dans les syndicats traditionnels CGT, CFDT, FO etc… Avec les conflits, comme celui-ci en tout cas, travailleurs français et immigrés nous sommes dans la même bataille, au coude à coude, pour le pouvoir d’achat ». Dyani Bouzekri, délégué FO Peugeot-Mulhouse, déclare aussi que la solution pour les immigrés, c’est d’ accéder à des responsabilités. « Certains ont des compétences, sont aptes et instruits ».
Dans son élan, Grid Douadi s’enflamme lui sous les applaudissements : « Peugeot veut nous diviser, aujourd’hui on a fait l’unité. On est tous des ouvriers, on ne lâchera pas ! Et j’espère que bientôt nous serons des millions dans tout le pays ! »
Réalisation: Samir ABDALLAH – Maurizio LAZZARATO & Raffaele VENTURA
Commentaire : Mogniss H. Abdallah
Images : Samir Abdallah
Son: Raffaele Ventura
Montage: Angela Melitopoulos
Production et distribution : Agence IM’média – septembre 1989
Samir Abdallah
Samir Abdallah est né à Copenhague, au Danemark, de l’union du pionnier de l’art moderne égyptien Hamed Abdalla avec sa femme, Kirsten Hamed Abdallah, infirmière danoise. Il vit en France depuis l'âge de 6 ans, où il a acquis la nationalité française. Après des études d'Art dramatique et de Cinéma à l'Université de Nanterre au début des années quatre-vingts, il participe à la création de l’Agence IM’Média avec son frère Mogniss, et réalise de nombreux reportages et documentaires sur l'Immigration pour l'émission Rencontres, sur la chaîne française FR3, entre 1988 et 1991. Il a réalisé seul ou en collaboration de nombreux documentaires, parmi lesquels : L'Islam de France, entre traditions et modernité en 1990 , La Révolte de Veaux-en-Velin en 1991, Voyages au Pays de la Peuge, en 1991, La Ballade des sans-papiers en 1997, Le Siège en 2002, Ecrivains des Frontières, voyages en Palestine(s), en 2004, Quo Va Dis?, en 2006, Après la guerre, c'est toujours la guerre, en 2007, Gaza-strophe, Palestine, en 2009, Candidats pour du Beur?, en 2012, Au Caire de la Rêvolution, depuis 2011... En 1991, il fonde L'Yeux ouverts qui organise des ateliers dans les quartiers, et anime un réseau international de projections publiques de films exprimant un point de vue critique sur le monde contemporain, avec plus de 3000 partenaires associatifs et divers, en France, Europe, pays arabes et Amériques, un réseau baptisé du nom de : CINEMETEQUE qui développe le site de films du même nom.